Antoine Robinaud, voyageur de commerce, possède une technique imparable pour vendre ses bouteilles de vermouth frelaté : il apitoie les âmes sensibles en se lamentant sur les malheurs du monde en général, et sur les siens en particulier, s’inventant des maladies imaginaires et enterrant sa mère à chaque nouvelle vente. Sa stratégie se révèle particulièrement efficace auprès des dames : de la maîtresse suicidaire d’un directeur de palace à la strip-teaseuse attirée par les minables, chacune de ses conquêtes lui fait gravir une marche dans l’échelle sociale…
C’est (à peu de choses près, mais je ne voudrais pas qu’on m’accuse d’insulter les gens) le titre d’un film de Michel Audiard sorti en 1974. C’est dire si la technique n’est pas nouvelle. Elle doit dater des prémices de l’humanité. Encore que, à certaines époques, je comprends qu’une personne n’ayant pas la capacité de s’en sortir préférait inspirer de la pitié pour survivre. Mais de nos jours, il faut drôlement être dépourvu d’amour propre pour utiliser cette méthode. Surtout que notre vie n’est pas en danger là ! Il s’agit bien souvent d’histoires de promotion/partage/concours.
Pourtant j’en vois tous les jours.
Avec la culpabilisation, la victimisation est l’une des techniques de manipulation les plus courantes. Oui. Technique de manipulation. Et apparemment, il faut s’être fait bien avoir pour s’en rendre compte vu comme cela fonctionne encore très bien. Je ne vois jamais quelqu’un répondre d’un cinglant « oh, mais tu te plains encore ? On ne va pas faire ça, cela ne nous intéresse pas, sans rancune tout de même ». Non ! Au contraire, la pléthore d’amis s’empresse de donner raison au manipulateur, s’excuse même de ne pas être tombé dans ses filets. Bref, l’incite à user de cette méthode encore et encore.
En même temps, la dernière fois que j’ai vu faire, la victime fut prise d’une crise de mauvaise foi extraordinaire, qu’est-ce que vous voulez faire contre ça : c’est l’arme ultime des hypocrites ! Ajoutez-y les amis et leur amen et vous n’avez plus qu’à la fermer et observer le massacre, pop-corn à la main.
Des deux, le pleurnichard ou le gentil pote bien crédule, je me demande parfois qui est le pire.
Celui qui manipule ou celui qui (consciemment ou non) l’y encourage.
Nous sommes tous un peu manipulateurs, je vous l‘accorde, cela date de notre enfance. Mais nous étions également en état d’infériorité par rapport aux adultes. Que nous restait-il d’autre qu’une frimousse en larmes pour éviter la punition ou obtenir ce que l’on voulait ? Enfin ça c’était de mon temps, aujourd’hui les enfants piquent des crises et ordonnent, ça marche aussi bien. Mais c’est une autre histoire. Je vois mal une personne gueuler « je veux que vous partagiez mon statut » ou « j’ordonne que vous achetiez mon livre ! » et que cela fonctionne… quoi que… je m’étonne encore chaque jour. Non le « vous étiez pourtant si nombreux à me suivre… snif… je ne comprends pas… snif… vous mes amis… personne n’a partagé la photo de Doudou mon chien pour le concours du plus beau roquet de Trifouillis-les-oies. » Ça, ça marche.
Et si Doudou est moche ? Si l’on préfère voter pour un autre Doudou ? Si tout simplement, on s‘en fiche un peu ? Ben non, nous sommes les esclaves de la maman de Doudou, destinés à voter pour son chien sinon attention : larmes, reproches, etc.
Pleurnicher, ça fonctionne. On se plaint, on obtient.